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Actualité de 1001Societes.fr
2ème Civ. 04 mars 2021, n°19-2.829 : Une société en formation ne peut ester.
Publiée le 05/05/2021

Cet arrêt est une nouvelle fois l’illustration de la complexité du droit des sociétés et de l’importance pour les créateurs d’une entreprise en formation d’immatriculer leur société le plus tôt possible au registre de commerce et de sociétés avant d’agir en justice.
Une société en formation conteste l’autorisation donnée par un juge commissaire sur une opération immobilière.
La cour d’appel déclare l’action irrecevable au motif que la société en formation n’avait pas d’existence légale lorsque son avocat a rempli une déclaration d’appel. Peu importe pour elle, que la société fut immatriculée en cours de procédure et qu’une assemblée générale ait décidé de poursuivre l’action en justice.
La société forme un pourvoi.
Dans ce pourvoi, elle vise l’article 126 du code de procédure civile suivant lequel le défaut de qualité à agir est régularisable, que la nullité a été couverte par l’immatriculation de la société et la ratification du recours par l’assemblée générale. Elle invoque aussi l’article 6, §1 de la Convention européenne des droits de l’homme : « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement ».
La cour de cassation énonce sur le fondement de l’article 121 du même code que l’irrégularité n’était pas régularisable, et que l’article 6 §1 ne s’applique pas aux personnes inexistantes à l’introduction de l’instance. Elle ne mentionne pas l’article 126. Cet article concerne les fins de non-recevoir, tandis que l’article 121 les exceptions de nullité. L’exception de nullité est une irrégularité qui vicie le fond ou la forme des actes de procédure alors que la fin de non-recevoir affecte la procédure elle-même, sa justification. En passant sous silence l’article 126 au profit de l’article 121, la deuxième chambre de la cour a implicitement jugé que l’irrégularité créait une exception de nullité. En revanche, la chambre commerciale de la cour de cassation, elle, vise l’article 126 et non l’article 121 (Com., 20/06/2006 : n°03-15.957).
Le rejet du pourvoi peut à première lecture surprendre car neuf mois plus tôt, la même chambre de la cour de cassation avait formulé comme une règle générale que : « il résulte de l'article 121 du code de procédure civile que l'irrégularité de fond tirée du défaut de capacité d'ester en justice est susceptible d'être couverte jusqu'au moment où le juge statue » (2ème Civ., 04/06/2020 : n°18-21.894).
Elle a d’ailleurs appliqué cette règle dans une instance où un maire, ancien ministre de tutelle des communes, a mené une action en justice au nom de sa commune en violation du 16° de l’article L2122-22 du code général des collectivités territoriales, c’est-à-dire sans en recevoir le droit du conseil municipal d’agir en justice. La cour a en effet jugé que le vote du conseil municipal donnant 6 ans après, au maire le droit d’agir couvrait la nullité de l’action (2ème Civ., 05/09/2019 : 18-10.365).
Mais parfois, comme dans cet arrêt du 4 mars 2021, la cour de cassation juge qu’un acte irrégulier d’un avocat n’était pas susceptible d’être régularisé. Le dossier est alors perdu.
Ainsi, elle a jugé que la nullité d’un acte introduisant une instance au nom d’une société disparue par une fusion ne pouvait être couverte par la société absorbante (Com. 13/03/2019 : 17-20.252 ; 2ème Civ., 27/09/2012 : n°11-22.278 ; Com. 13/03/2007 : 05-21.594), que la nullité d’un tel acte pris au nom d'une personne décédée sans mention des héritiers par l'avocat ne peut être régularisée par ces derniers (3ème Civ., 05/10/2017 : n°16-21.499 ; 3ème Civ., 18/11/2014 : n°13-12.448 ; 2ème Civ., 13/01/1993 : n°91-17.175). Elle a décidé qu’il n’est pas possible de régulariser la nullité d’une action imprudemment introduite par un avocat au nom d’une société inexistante (2ème Civ, 04/03/2021 : 19-22.830 ; 3ème Civ., 24/10/2012 : 11-11778).
Et la décision prise le 4 mars 2021 poursuit une jurisprudence constante depuis 1997 qui refuse à une société en formation, le droit d’ester en justice (Com., 23/11/2010 : n° 07-21.936 ; Com., 14 juin 2000, n° 98-10.617 ; Com., 30/11/1999 : n°97-14595 ; 2ème Civ., 26/03/1997 : 94-15.528 ; Com., 07/06/1994 : 91-20.761 ; Com., 07/12/1993 : 91-19.939 ; Com., 25/10/1983 : n°82-11.389). Cette jurisprudence peut évoluer car en 1993, la troisième chambre civile de la cour de cassation admettait que la nullité de l’assignation délivrée par une société en formation était couverte de plein droit par l’immatriculation de cette société (3ème Civ., 09/10/1996, n° 93-10.225).
Cet arrêt et la jurisprudence citée amène plusieurs observations :
Premièrement, il est tout à fait logique et raisonnable d’assumer qu’une société en formation n’ait pas la capacité d’agir car elle n’a pas de personnalité morale et donc pas de personnalité juridique. En effet, la capacité d’agir est une condition sine qua non de la validité de toute procédure et son défaut est sanctionné de nullité par les articles 32 et 117 du Code de procédure civile.
Il n’y a aucun doute qu'une société sans personnalité juridique ne peut ester en justice. Le droit positif considère que l'obtention de la personnalité juridique est la condition de la reconnaissance de la "personnalité judiciaire".
La CEDH ne peut venir au secours des sociétés en formation. Le droit à la justice cité par l’article 6 §1 n’est reconnu qu’à l’égard des personnes, ce qu’une société en formation n’est pas.
Deuxièmement : les fondateurs de la société en formation qui veulent saisir la justice doivent d’abord faire immatriculer leur société avant l’expiration du délai de recours pour que leur action ne soit entachée d’aucune irrégularité du fond. Au-delà de l’argument et de la position du droit positif, en pratique il est logique de retenir cette solution car si un contentieux est probable pour une société en formation, ne pas immatriculer est un manque de diligence surtout que cette formalité devant le registre de commerce et de sociétés est simple, rapide et abordable.
L’immatriculation peut intervenir en quelques jours. S'il y a urgence, il suffit de déclarer la société sans activité et de fixer son siège chez un fondateur. L'urgence doit être relative. Selon les périodes de l'année, le greffe peut avoir plusieurs jours de retard. Après l’immatriculation, il faut mener d’autres formalités pour débuter l’activité et si besoin pour transférer le siège à une autre adresse.
Troisièmement, la solution adoptée par la cour de cassation ne s’applique pas aux recours contre le refus du greffe d’immatriculer une société. Ce recours effectué au nom de la société en formation, non immatriculée donc, n’est jamais déclaré irrecevable pour défaut de capacité d’ester en justice.
Quatrièmement, les conseillers à la cour de cassation ont éclairé leur distinction dans un arrêt rendu dans une affaire similaire le 15 avril 2021 (3ème Civ., 15/04/2021 : n°19-18.903 ; n°19-18.619).
« D'une part, lorsque l'acte a été délivré par une association syndicale libre qui n'a pas publié ses statuts constitutifs, l'irrégularité qui résulte de ce défaut de publication, lequel prive l'association de sa personnalité juridique, constitue une irrégularité de fond qui ne peut être couverte (3e Civ., 15 décembre 2004, pourvoi n° 03-16.434, Bull. 2004, III, n° 238, 3e Civ., 10 mai 2005, pourvoi n° 02-19.904 et 3e Civ., 24 octobre 2012, pourvoi n° 11-11.778).
« D'autre part, lorsque l'acte a été délivré par une association syndicale qui a publié ses statuts, mais ne les a pas mis en conformité avec les dispositions de l'ordonnance du 1er juillet 2004, l'acte de saisine de la juridiction délivré au nom de l'association est entaché d'une irrégularité de fond pour défaut de capacité à agir en justice, qui peut être régularisée jusqu'à ce que le juge statue (3e Civ., 5 novembre 2014, pourvois n° 13-25.099, 13-21.329, 13-21.014, 13-22.192, 13-23.624, 13-22.383, Bull. 2014, III, n° 136 et 3e Civ., 3 décembre 2020, pourvois n° 19-20.259 et 19-17.868) ».
Leur exposé sur le régime des associations s’applique aussi au droit des sociétés : la société en formation n’a pas publié ses statuts, la société immatriculée si.
La distinction actuellement adoptée par la cour de cassation s'explique aussi de la façon suivante :
D'un côté, tout défunt et toute société en formation sont frappés par une incapacité totale. Ils sont morts ou sont en gestation, c'est-à-dire juridiquement inexistants. Ils n'ont aucune substance au regard du droit, sauf dans de rares cas expressément prévus par des dispositions légales. Dès lors en dehors de ces cas, ils ne peuvent pas mandater un tiers de les représenter en justice.
De l’autre côté, il existe une incapacité partielle : la commune, l'association, le syndicat de copropriété peuvent par l'intermédiaire d'un représentant conclure certains actes et en dehors de ces actes la loi exige de donner expressément à un tiers le droit d'ester en justice en son nom. Elle a en substance le pouvoir de mandater un tiers qui ensuite choisira si nécessaire un avocat. Elle peut régulariser une situation qui n’est que temporaire.
Ainsi, si un dirigeant este en justice en ignorant une clause qui l’oblige à obtenir d’abord l’autorisation des associés ou des actionnaires, la nullité de l’action peut être régularisée par ces derniers.
Dans le même sens, lorsque l’irrégularité résulte seulement de l'absence d'un représentant d’une personne existante, la nullité qui en découle disparaît si un représentant régulièrement désigné se manifeste avant la fin de la procédure.